“Activer plus qu’inventer” Par Farah Sayem



“ Leçon à retenir : Dans un univers caractérisé par la circulation, œuvres d’art et démarches mobilistes peuvent aussi se noyer dans le flux, devenir des formes passagers et non, comme l’art traditionnel entend l'œuvre d’art, des formes-stations. Le destin de l’art, non sans cohérence, rejoint ici le destin de l'humanité, lequel se caractérise autant par la fixation que par le nomadisme.“

Paul Ardenne, un art contextuel


L'espace commun, l'espace partagé, au-delà d'être un espace géographique, est un espace politique et physique. Se l'approprier, le maîtriser et le fréquenter est le droit de l'artiste dans un processus de création démocratique. L'artiste est une pierre angulaire dans la relation entre acteurs dominants et marginalisés. Ce rapport de force est une histoire de lutte contre les enjeux et les conflits de la localisation géopolitique de l'espace, de l'aménagement et de l'agglomération économique. Les politiques ont leurs systèmes qui leur permettent de subordonner à leurs stratégies les actes sociaux et les événements qu'ils influencent. En revanche, la création artistique libre et indépendante pourra à son tour acquérir son propre système de signification. Le K OFF 2023 est une sélection d'œuvres pour questionner l'apport de l'artiste dans un monde d'expériences communes, dans un espace partagé.

L'expérience demeure-t-elle une règle artistique ? Le contexte, le lieu ou encore l'espace, comment définissent-ils l'œuvre ?

L\’eau fluviale et les frontières sont à l’origine de la création de la vidéo de l’artiste Saif Fradj, le passé imparfait d'un clapotis d'eau. L’artiste pose des questions sur le temps, la mort et la vie lors d’une promenade avec sa fille dans un musée à Sousse. Une promenade rythmée par le mouvement des vagues de la mer mettant l’accent sur les origines du père et de la fille, le sud et le nord.

À Nefta, dans le Sud de la Tunisie l’artiste Elma Riza raconte l’histoire d’une source “AIN” qui se tarit. On y voit la palmeraie de Nefta, ce lieu unique chargé d’histoires, source d’inspiration pour la littérature, source de ressources naturelles pour une ville...C’est une métaphore de la source, de sa recherche, de sa perte, autour d'un objet, la branche du palmier dattier, dépouillée de ses attributs. Et comme on cherche avec un bâton une source d’eau, ce voyage emmène le public d’un paysage à l’autre, de l’Oasis en perdition au désert, avec l’espoir de trouver un autre chemin, un autre horizon.

Dans la banlieue populaire de Tunis, The Tide Will Carry Us, un essai documentaire et esthétique libre, le vidéaste Walid Ben Ghezala recompose dans un espace-temps unique d'innombrables heures d’enregistrement sur cassette issues de ses déambulations nocturnes. Une nuit, sur la plage, les langues se délient et les esprits se libèrent, se dessine alors le portrait d’une génération, de ses tabous et ses espoirs. Ici, pas de plage de sable fin ; l’espace rocailleux de ce bord de mer est particulier, c’est un espace ‘entre deux’. Entre terre et mer. Entre ville et nature. Entre l’ordinaire et l’extraordinaire. Entre le réel et le rêve. Entre l’ici et l’ailleurs…

Pour l’artiste Malek boukadida, l'eau est une source de vie rare et se dérobe aux habitants. Dans Au-delà du visible, Metlaoui est asséchée de son eau, de ses habitants. La ville est devenue fantôme! Des coupures fréquentes qui touchent durement ses habitants. Pendant ce temps, l’usine de phosphate s'abreuve de cette ressource vitale pour le lavage de son minerai. L'eau, un vague souvenir et les habitants des migrants.

Dans le train de la vie, l'artiste Hamza Madfai montre dans la récurrence éternelle que l'humain est dans l’immobilité absolue. Le train modifie le temps et l’espace. Lancé dans sa course, il accède à un état permanent où le temps semble suspendu. À vitesse constante, il devient intérieurement comme immobile, mais, à la fois d'une mobilité pure. À l'extérieur, l’espace se serre tandis que le temps se détend. Le voyageur, seul face à lui-même, fait l’expérience existentielle de la durée.

Chez elle et dans Desacorps, Dorra Hichri aborde le sujet de l’acceptation de soi. Accepter, s’accepter et se réconcilier avec son corps. Dans une démarche personnelle, la jeune artiste retrace et ancre sa réconciliation avec son corps. S’observer, se toucher et prendre le temps pour se comprendre. L’artiste transforme ce médium artistique pour renouer les liens avec ces traits, sa chair et son identité dans une sorte d'ablution personnelle.

Par le biais d'une interaction entre l'observateur et l'espace commun de l'exposition, le K OFF invite le public à découvrir une réalité multiforme, un véritable repositionnement de l'actualité et une prise de conscience des transformations de la société d'aujourd'hui. Des situations quotidiennes qui se distinguent, à expérimenter, à repenser et à apprécier. Cette section d’art vidéo du festival Gabes Cinéma Fen porte sur le thème "Activer, plus qu’inventer" en mettant l'accent sur les flux et les vagues, l'espace et le temps, le nomade et le stable….
Sur l'eau, la terre et l'humain.