La programmation de la section Art vidéo de cette nouvelle édition de Gabès Cinéma Fen, s’inscrit dans une actualité brûlante et renvoie en écho à la programmation des autres sections du festival, à des problématiques diverses en lien avec l’humain et sa place dans un monde à réinventer. « Autres Soleils : vers une cosmopolitique des non-alignés », titre de l’exposition d’El Kazma donné par sa curatrice, l’artiste et autrice brésilienne Ana Vaz, aborde ainsi la question de l’ordre mondial et des rapports de dominations qui affectent les peuples et les espaces. Campé dans le rejet d’un Nord global hégémonique, le programme invite des artistes individuels et des collectifs, d’Amérique du Sud et de Palestine, d’Iran aussi, à un dialogue Sud Sud, solidaire et affranchi. Une tentative de réappropriation de territoires spoliés, entravés
— par le récit historique, religieux ou intime – sur fond de déplacement, de quête et de désir urgent de reconstruction. Dans El Kazma, les films des palestiniennes Basma Al Sharif, Mona Hatoum, Razan Al Salah, ou de l’iranienne Parastoo Anoushahpour, résonneront ainsi avec les œuvres de l’artiste Genesis Valenzuela de la République Dominicaine et des trois collectifs
invités, Yamonami du Brésil et Maxacali et Los Ingravidos du Mexique, pour raconter des formes de résistance, celles de peuples / communautés / géographies en prise à la violence coloniale.
La section K Off dédiée aux artistes émergents tunisiens, ne dérogera pas à ce registre. Sous la direction de la curatrice Anissa Troudi, elle mettra en avant une sélection d’œuvres filmiques autour du rapport de l’individu à ses repères sociaux, spaciaux et temporels. Au programme, la captation de ce qui est de l’ordre de « l’inframince », cet imperceptible qui s’incruste dans notre inconscient collectif (Mohamed Ali Boulaaba), la force de l’héritage culturel (Amira Lamti), familial (Yosr Ben Messaoud), la notion de foyer connecté ou le décloisonnement de l’espace familial (Yosra Tourki), un témoignage doux-amer sur la complexité du soi et des liens parentaux (Sarra Kanzari), et puis, plus en phase avec le contexte de monstration, un plaidoyer pour un environnement sain à Gabès (Zeineb Kaabi).
Les expositions se poursuivent avec In the Shadow of our Founding Father de l’artiste tunisien Belhassen Handous, une installation multimedia qui questionne l’héritage capitaliste de Bourguiba à travers une archive officielle de la période 1972-1987. Le point de vue de l’artiste, solidaire “des personnes déplacées, déformées, réduites au silence ou rendues invisibles par les machineries du profit et du progrès" (Allan Sekula), rejoindra celui de l’artiste franco
suisse, Julien Robinoni, et de son film “Black Knights (of Tunis)”, une archive contemporaine d’une communauté à la marge : la communauté techno underground de Tunis.
Et puis, comme chaque année, une sortie de résidence d’un artiste de la sélection K Off de l’édition précédente, en l’occurrence Saif Fradj, dont la double participation à la section Art vidéo et à la section Cinéma, en 2023, fut couronnée par le Prix du meilleur court métrage. Son travail de recherche et de création, réalisé avec le curating de Farah Sayem (curatrice K Off 2023), donnera lieu à une exposition / sortie de résidence intitulée « Mirage / Moving image / سراب صورة", une installation multimédia dans laquelle l’artiste entreprend de dévoiler les rouages du colonialisme interne, soulignant l’exploitation des régions par l’État et la résistance de la nature à l’invasion de l’homme.
Une performance de l’artiste multi-instrumentiste, compositeur, arrangeur Jihed Khmiri, viendra, comme à chaque édition, clôturer le programme. Des sons de Gabès captés ici et là – au marché, dans l’oasis, dans les rues de la ville et sa plage —, fusionnés aux percussions
et aux rythmes de ses instruments (oud, clavier), mettront en scène une légende sonore de Gabès, une déambulation au phrasé mélodique incrustée de recoins sonores composés au terme de sa résidence à Gabès.
La programmation se poursuivra avec une conversation collective regroupant des artistes d’El Kazma invités à présenter un matériel visuel qui a été déclencheur dans leur parcours artistique personnel. La discussion portera sur le pouvoir de l’image, de sa dimension visuelle, textuelle et/ou sonore, et de la façon avec laquelle elle a pu imprégner leur travail.
Une ciné-performance de Léa Morin, chercheuse et curatrice, co-fondatrice et directrice de l’Atelier de l’Observatoire à Casablanca (Maroc), dont les recherches contribuent à réhabiliter des films du patrimoine cinématographique oubliés ou rendus invisibles par « les narrations dominantes » sera également au programme.
La section Art Vidéo du festival Gabès Cinéma Fen s’organise chaque année en partenariat avec La Boîte, une structure de soutien, de diffusion et de médiation de l’art contemporain en Tunisie.